jeudi 19 mars 2009

La tactique de l’araignée


1°) Le gouvernement veut vider la licence de son contenu universitaire…

Le gouvernement veut vider les premières années universitaires de leur sens. La spécificité de l’université est de proposer, à tous les niveaux, un enseignement dispensé par des enseignants-chercheurs. Or les réformes en cours visent à couper l’enseignement de la recherche dans les premières années, faisant de la licence une sorte de lycée-bis. Le gouvernement cherche à atteindre ce résultat de deux façons :
  • d’une part, en nommant massivement des enseignants qui n’ont pas l’obligation de faire de la recherche, recrutés sans doctorat, et dont la charge de travail rend difficile qu’ils en fassent.
  • d’autre part, en modifiant le statut des enseignants-chercheurs : sous couvert d’évaluation, la majorité d’entre eux sera cantonnée à la seule activité d’enseignement.

Combinée au bachotage permanent instauré par les semestres, cette coupure entre enseignement et recherche menace de modifier le contenu même des formations, en les vidant progressivement de leur contenu proprement universitaire. On construit une immense usine à gaz où les enseignants en seront réduits à limiter les dégâts. Si cela se produit, la licence sera une coquille vide qui n’aura plus d’universitaire que le nom. Le gouvernement agit comme une araignée qui liquéfie sa proie de l’intérieur pour la dévorer, sans toucher à son apparence extérieure.


2°) … et faire payer aux étudiants et aux enseignants le prix de la concurrence.

L’autonomie des universités (loi dite LRU) est avant tout une réforme de la gestion des universités. La logique de la loi est de trouver de nouveaux financements pour les universités, en les mettant en concurrence. Et de citer l’exemple américain. Soit. Mais d’où peuvent venir ces financements nouveaux ? Des entreprises ? Sur le budget d’une université comme Toulouse le Mirail, les dons des entreprises – s’il y en a ! – ne représenteront jamais que des sommes marginales. Y a-t-il en France des fondations privées (comme aux Etats-Unis) capables de financer les universités ? Peut-on compter, comme aux Etats-Unis, sur les dons des anciens élèves ? Non. Restent deux moyens, qui remettent en cause tous les deux la nature de l’université et sa place dans la société :

1°) Diminuer l’encadrement. En diminuant le nombre d’enseignants, on peut faire baisser la masse salariale. Il suffit de recruter moins d’enseignants-chercheurs et d’augmenter les services de la majorité des enseignants. Mais la qualité d’une formation reposant sur l’encadrement et le suivi des étudiants, ces économies se font au prix d’une baisse du niveau de formation.

2°) Augmenter les frais d’inscription des étudiants. En Italie, où une réforme de l’enseignement supérieur similaire a été imposée il y a quelques années, les frais d’inscription se chiffrent désormais entre 1500 et 2000 euros par an. En Allemagne, l’année dernière, dans de nombreuses régions, les frais d’inscription sont passés de 400 à 1 400 euros par an. En Angleterre, dans des universités ‘normales’ (ni Cambridge ni Oxford), ils oscillent entre 3000 et 4000 euros. Sans parler des Etats-Unis, où une université publique réputée peu chère, ‘moyenne’ selon les critères de classement, demande entre 11 000 et 15 000 dollars pour une année d’étude (pour les plus cotées, les tarifs explosent jusqu’à 35 000 dollars ou plus par an). Où la loi du marché fixera-t-elle la barre en France ? 1 500 euros ? 3 000 euros ? 4 000 euros ? 8 000 euros ? 20 000 euros ? A l’heure où l’on vante les modèles des autres pays, lequel de ces chiffres a la préférence de nos ronds-de-cuir ? Quel qu’il soit, demain, tous ne pourront plus avoir accès à une université devenue chère.

Quelle université voulons-nous ? Une université, issue de la logique libérale, plus chère pour les étudiants, privilégiant le bachotage au détriment de la formation, bureaucratique, de moins bonne qualité tant pour la formation que pour la recherche?

Ou une université ouverte, accessible à tous, offrant une véritable formation et fonctionnant comme un lieu de collégialité, à la hauteur des défis qui nous attendent?

La France a les moyens d’une éducation nationale et d’une université de qualité. Casser l’université comme s’emploie à le faire le gouvernement n’est pas une stratégie, c’est de l’aveuglement. Refusons cette logique, ouvrons les yeux et rêvons à l’université de demain !

Enseignants-chercheurs de l’Université de Toulouse II-le-Mirail

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